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Une méthode de pointe pour déceler les alcaloïdes de l’ergot

Une méthode de pointe pour déceler les alcaloïdes de l’ergot
2018 10-25

Dans le cadre du rapport annuel 2017 du LNS, nous avons réalisé une série d’interviews et de reportages pour mieux présenter le LNS à travers son personnel et ses différents départements. Voici le troisième interview qui met en scène le Dr sc. Claude Schummer suivi du reportage correspondant. Bonne découverte!

Diplômé en chimie analytique de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg, spécialisé en toxicologie environnementale, Claude Schummer travaille en tant que responsable technique au sein du service de surveillance alimentaire. Au même titre que le service de surveillance biologique et hygiène du milieu, son service fait partie du département des laboratoires protection de la santé. Chacune des deux entités a des missions bien spécifiques. La première est davantage orientée vers la détection d’éléments chimiques et de métaux lourds ainsi que des molécules organiques nocives dans l’environnement domestique et professionnel. La seconde réalise des analyses chimiques, biochimiques et microbiologiques sur des échantillons alimentaires et des échantillons pour animaux prélevés par les différentes administrations impliquées dans le contrôle officiel de la chaîne alimentaire.

L’ERGOTISME, UNE MALADIE AUTREFOIS DÉVASTATRICE

Depuis janvier 2017, Claude Schummer dirige un important projet sur les alcaloïdes de l’ergot dans les différents types de céréales au Luxembourg. Les alcaloïdes de l’ergot du seigle sont des toxines produites par un champignon – le Claviceps purpurea – qui parasite principalement les céréales. Pendant l’hiver, l’ergot produit un sclérote, un organe de conservation de couleur noire, composé d’un amas de filaments mycéliens et servant à stocker des nutriments pour permettre au champignon de fructifier lorsque les conditions environnementales sont plus favorables.

« Cet organe de conservation pousse sur les céréales et contient les alcaloïdes responsables de l’ergotisme, une maladie qui se présente sous deux formes : une forme convulsive et une forme gangréneuse », explique Claude Schummer. « Les symptômes convulsifs comprennent des crises de convulsion, des spasmes douloureux, des diarrhées, des maux de tête, des nausées, des vomissements et parfois des hallucinations ressemblant à celles déclenchées par le LSD (un dérivé de l’acide lysergique produit par l’ergot) ou des troubles psychiques. Dans la forme gangréneuse, les vaisseaux sanguins des extrémités (doigts et orteils) se rétrécissent. Les malades éprouvent des sensations de chaleur brûlante – au Moyen-Âge, cette maladie était connue sous le nom de mal des ardents ou de feu de Saint-Antoine – et voient peu à peu leurs membres devenir noirs, puis se gangréner avec, comme conséquence, la mutilation, voire la mort. Aujourd’hui, heureusement, cette maladie peut se soigner et ne survient que très rarement. Cela dit, même si les alcaloïdes de l’ergot ne se retrouvent plus qu’en très petites quantités dans les céréales, ils peuvent avoir des conséquences graves au-delà d’un certain seuil, notamment pour les femmes enceintes. Les alcaloïdes de l’ergot peuvent en effet provoquer des contractions et déclencher des naissances prématurées. »

UNE SURVEILLANCE ÉTENDUE À D’AUTRES TYPES DE CÉRÉALES

« Notre projet est d’autant plus important qu’il n’existe pas encore à l’heure actuelle de limite officielle fixée par la Commission européenne en ce qui concerne le taux des alcaloïdes de l’ergot présent dans les céréales », précise Claude Schummer. « La seule limite officielle est relativement imprécise : 0,5 gramme de sclérote par kilogramme de céréale. Le premier objectif de notre projet a donc été de mettre au point une méthode de dosage, propre au Laboratoire national de santé, très précise et très fine des alcaloïdes de l’ergot dans les céréales. Concrètement, les échantillons sont broyés pour devenir de la farine. Les alcaloïdes sont ensuite extraits de cette farine à l’aide d’un solvant, l’acétonitrile, purifiés à l’aide de cartouches de résine et analysés à l’aide de la technique de la chromatographie en phase liquide couplée à un spectromètre de masse. Grâce à notre méthode, nous pouvons détecter des concentrations infimes d’alcaloïdes dans les céréales, de l’ordre de 1 microgramme (0,001 milli- gramme) par kilo, voire en dessous. Nous espérons voir notre méthode accréditée dans le courant de l’année 2018 et pouvoir l’utiliser par la suite en routine. »

« L’autre particularité de notre projet est que celui-ci ne se limite pas au seigle comme c’est généralement le cas lorsque des études sont menées sur les alcaloïdes de l’ergot. Nous avons également inclus d’autres céréales comme le triticale (un hybride artificiel entre le blé et le seigle), l’orge et surtout le blé, qui est la principale culture céréalière au Luxembourg. En procédant de la sorte, nous avons non seulement pu démontrer que les alcaloïdes de l’ergot étaient présents partout dans le pays – sur les 39 échantillons reçus de l’Administration des Services Techniques de l’Agriculture (ASTA), 38 contenaient au moins un alcaloïde de l’ergot – mais aussi que les concentrations étaient assez basses sauf dans deux échantillons de blé où le taux – plus de 1 milligramme par kilogramme – pouvait représenter un danger potentiel pour la santé. Cette observation n’est certes pas statistiquement significative mais elle prouve que les programmes de surveillance des alcaloïdes doivent s’étendre à d’autres types de céréales et pas uniquement au seigle pour prévenir tout danger de contamination. »

« Nous avons également comparé nos résultats avec ceux obtenus dans d’autres pays au climat tempéré et aux activités agricoles comparables comme l’Allemagne, la Suisse et le Canada. Même si les études en question ne prenaient en considération que le seigle, nous pouvons en conclure que la contamination des céréales par les alcaloïdes de l’ergot au Luxembourg est du même ordre de grandeur : entre 1 et 100 microgrammes par kilo avec des pointes allant jusqu’à 1 milligramme par kilo. »

DES RETOMBÉES POSITIVES AU NIVEAU NATIONAL ET INTERNATIONAL

En 2018, le projet aura pour objectif d’appliquer la méthode de dosage des alcaloïdes dans les produits finis et de comparer les résultats avec ceux obtenus avec les céréales brutes. Les alcaloïdes de l’ergot sont des molécules très stables dans le temps et ne peuvent être que très partiellement détruites par les procédés de transformation. On peut ainsi les retrouver tout au long de la chaîne alimentaire. Un volet technique est également prévu. Les sclérotes de Claviceps purpurea sont susceptibles de contenir 6 alcaloïdes principaux, chacun d’entre eux pouvant être présent sous deux formes analogues appelées isomères. Le passage d’une configuration à l’autre, appelé épimérisation, est réversible et ne suit pas de règle définie. « Dans notre méthode de dosage, nous avons quantifié distinctement ces 12 molécules et pris en compte la somme des 12 teneurs en alcaloïdes pour caractériser le niveau de toxicité global de l’échantillon. Nous allons à présent essayer de comprendre ce qui provoque ce phénomène d’épimérisation. »

Les résultats de l’analyse menée par l’équipe de Claude Schummer ont été présentés en novembre 2017 lors du 7e colloque « La sécurité dans mon assiette » organisé par l’Organisme pour la Sécurité et la Qualité de la Chaîne Alimentaire (OSQCA) et feront l’objet d’une publication dans une revue scientifique internationale en 2018. « Ce projet est passionnant à plus d’un titre », conclut Claude Schummer. « La nouveauté de notre méthode de dosage présente un grand intérêt scientifique, nos conclusions vont avoir un impact sur la santé publique au Luxembourg et le Laboratoire national de santé, et notre service en particulier, va gagner en renommée à la fois sur le plan national et international. »