Dans le cadre de la Journée internationale des femmes et des filles de science, nous vous présentons des représentantes de cette excellence féminine au LNS qui nous donnent un aperçu de leur travail dans les trois interviews suivantes, en nous détaillant ce qui est particulièrement important à leurs yeux dans leur domaine et comment elles voient le rôle des femmes dans les sciences. Voici le portrait du Dr Seval Türkmen, responsable de l’unité d’hémato-oncogénétique au National Center of Genetics (NCG) du Laboratoire national de santé.
Je suis arrivée au LNS en novembre 2019. Auparavant, j’ai travaillé pendant 20 ans à la Charité à Berlin. Je suis née en Turquie et j’ai émigré en Allemagne après avoir obtenu mon diplôme de médecine à Izmir, sans pour autant maîtriser la langue allemande. Je me suis d’abord mise à apprendre l’allemand, puis j’ai commencé à travailler à la Charité comme médecin invité, puis comme médecin assistant. Cinq ans plus tard, je suis devenue responsable du service de cytogénétique des tumeurs. La Charité a été mon premier employeur et je lui suis restée fidèle pendant longtemps. Mais après 20 ans, j’étais désormais à la recherche de nouveaux défis. Au fil des années, j’ai eu plusieurs offres d’emploi, j’ai d’abord voulu aller en Suisse, mais j’ai finalement opté pour le Laboratoire national de santé luxembourgeois. Les diagnostics modernes et les bonnes possibilités de recherche ont fait de cet institut un lieu de travail très attrayant pour moi.
J’y dirige depuis deux ans l’unité d’hémato-oncogénétique. L’hémato-oncologie est une spécialité qui traite des maladies bénignes et malignes du sang, des carcinomes des ganglions lymphatiques et du système lymphatique ainsi que des tumeurs solides malignes. Mon unité effectue principalement des diagnostics génétiques pour la leucémie et les lymphomes. Chez les patients chez qui l’on soupçonne un cancer du sang, nous pouvons, grâce à des analyses génétiques ciblées, détecter les modifications chromosomiques qui contribuent au diagnostic et déterminer le pronostic et la gravité de la maladie. Nos résultats servent ensuite également de guide pour le traitement et aident les médecins à prescrire des médicaments « ciblés ». Une fois le diagnostic posé, ces analyses génétiques permettent également, dans le cadre du suivi, de surveiller la réponse thérapeutique et de détecter les mécanismes de résistance. Pour les patients atteints de leucémie et de lymphome, il s’agit de l’étalon-or des méthodes de diagnostic et de traitement.
Mon intérêt pour l’oncologie est en fait d’origine personnelle : j’avais cinq ans lorsque mon père a été atteint d’un cancer. Sur le chemin de la salle d’opération, il m’a dit : « Deviens médecin et fais de la recherche sur le cancer ! » J’avais 13 ans lorsque mon père est décédé de la maladie. C’est de là qu’est né mon souhait de devenir chercheuse et de travailler avec des patients atteints de cancer. Depuis, je suis déterminée à comprendre les mécanismes moléculaires de la maladie afin de pouvoir proposer de meilleures options de traitement – pour le cancer et pour d’autres pathologies. Lorsque je travaillais à la Charité, j’ai fait beaucoup de recherches sur les maladies rares et les syndromes congénitaux, et j’ai également publié de nombreux articles à ce sujet. Je trouve que ce sont des domaines scientifiques très passionnants. Pourquoi ces personnes tombent-elles malades ? Se mettre à la recherche des causes est fascinant, comme un puzzle à reconstituer. Et si l’on trouve des réponses, il est possible de proposer un diagnostic prénatal et, dans de rares cas, de développer des thérapies et de les appliquer très tôt, avant que la maladie ne progresse.
Je ne suis au LNS que depuis deux ans et je suis encore en train de mettre en place l’unité, de standardiser les protocoles et de recruter du personnel. Ma priorité absolue est de fournir un bon diagnostic dans un premier temps. Mais dans un avenir proche, à partir de 2023, j’aimerais aussi établir des projets de recherche au sein du LNS, par exemple sur le myélome multiple, un cancer qui se développe à partir des plasmocytes de la moelle osseuse et sur lequel j’ai déjà effectué des recherches auparavant. J’aimerais continuer à approfondir ce travail au LNS.
J’ai constaté que les femmes sont globalement plus ambitieuses. Dans la plupart des pays, la gouvernance des instituts scientifiques est malheureusement encore essentiellement assurée par des hommes et, en tant que femme, il faut vraiment faire de grandes choses pour arriver à intégrer l’instance de direction. C’est une lutte acharnée pour gravir les échelons, dans laquelle, selon mon expérience, les femmes doivent déployer davantage de force et faire plus de sacrifices que leurs collègues masculins pour atteindre le même objectif. Il en résulte leur ambition et aussi des capacités de self management très efficaces. Je ne veux pas être sexiste, mais je pense qu’il est toujours vrai que dans notre société actuelle, on attend davantage de la femme. Elle doit remplir plusieurs rôles à la fois : Elle doit être une bonne épouse et une bonne mère, et si elle veut aussi être une scientifique accomplie, elle doit déployer beaucoup d’efforts et d’énergie pour tout concilier. Je connais quelques exemples de femmes scientifiques pour lesquelles cette situation s’est encore aggravée en période de pandémie de Covid-19, car la garde des enfants, etc. leur « incombait » principalement. Il n’y a cependant pas de force plus forte qu’une femme déterminée à s’élever et à atteindre son objectif.
J’ai d’excellents collègues et je ne peux pas dire que les femmes font de la recherche différemment ou mieux que les hommes. Je pense toutefois que nous posons naturellement plus de questions et que, pour les raisons que je viens d’évoquer, nous sommes souvent plus ambitieuses et plus déterminées, que nous possédons de très bonnes compétences organisationnelles ainsi que des capacités étonnantes pour surmonter les difficultés. Ces qualités les aident à progresser dans la recherche. En même temps, les femmes ne sont pas seulement orientées vers la réussite, mais aussi vers l’harmonie et savent trouver un équilibre entre ces deux exigences. Leur mode de communication crée un meilleur climat de travail. Je pense que nous avons besoin de plus de femmes à des postes de direction, qui prennent des décisions critiques, non seulement dans la science et la recherche, mais aussi dans tous les domaines. Notre monde serait alors plus paisible.